Depuis 2023, le laboratoire de mathématiques a ouvert au collège Bellevue de Loué. L’équipe de ce laboratoire s’est fixée pour mission de développer des ressources et dispositifs visant à diversifier les approches didactiques en mathématiques et favoriser l’égalité Fille-Garçon au sein de cette discipline.
Avant de vous présenter l’expérimentation que nous souhaitons mettre en place à la rentrée 2024, il semble important de revenir sur les réflexions qui nous ont menés à ce projet.
I. Constat chiffré : point de départ de la réflexion
Dans le quotidien de nos classes, nous constatons qu’il est fréquent que les élèves filles doutent de leur capacité, au point de freiner leur progression, et qu’à contrario certains élèves garçons surestiment leur niveau, au point de ne pas tenir compte des conseils et méthodes. Ces perceptions faussées de leur réussite nous semblent délétères pour ces élèves.
Plusieurs rapports et conférences, font état d’un désengagement massif des élèves-filles en mathématiques dans leurs cursus scolaires :
IPP 2024, IGESR jan 2023, IGESR fév 2023,Observatoire des inégalités 2023, IGESR nov 2022,INE 2022, Mathématiques et lutte contre stéréotypes séxués 2022, TIMSS 2019,…
L’évolution du ratio du nombre de filles et du nombre de garçons dans les filières scientifiques a nettement régressé au point d’en revenir à celui de 1962.
Le tout dernier élément est celui de l’Institution des Politiques Publiques qui a publié en 2024 un rapport analysant finement la scolarité de cohortes d’élèves. Il a pointé un recul des filles sur les mathématiques dès le CE1, phénomène entretenu au collège et devenu visible au lycée au moment des choix d’options.
II. Des explications possibles.
Depuis plusieurs années, nous avons développé dans nos pratiques des outils permettant d’évaluer le ressenti des élèves vis-à-vis de leur réussite. Pour cela, les élèves, à chaque évaluation, devaient s’auto-évaluer.
Quelques auto-évaluations d’élèves-filles :
Quelques auto-évaluations d’élèves-garçons.
Ces quelques exemples illustrent parfaitement un phénomène, celui d’un défaut de perception de ses capacités chez les élèves-filles et les élèves-garçons. Les premières ayant tendance à sous-évaluer leur travail alors que les derniers ont tendance à le sur-estimer.
Le désengagement mathématique des élèves-filles peut donc trouver une explication dans ce manque de lucidité.
Cela permet également d’expliquer une présence moindre à l’oral des filles en cours de mathématiques vis-à-vis des garçons : un manque de confiance en leurs capacités de réussite et un regard trop exigent sur l’échec.
III. Un problème plus global
À la lecture d’un ouvrage « Les matheuses » écrit par trois chercheuses en mathématiques qui ont compilé une enquête auprès de jeunes lycéennes présentes dans les filières scientifiques, nous avons retrouvé le phénomène expliqué plus haut, confirmant au passage notre analyse.
Ce livre va plus loin et présente également des mots d’encouragements d’enseignants adressés à des élèves filles et garçons, mettant en exergue une prévalence genrée dans les appréciations.
Les enseignants « auraient » tendance à louer les capacités des garçons malgré un manque de travail, alors que pour les filles, c’est davantage le travail soigné et un manque de confiance qui seraient soulignés. Ce sont des exemples, mais permettant d’illustrer que les enseignants reconnaîtraient davantage le travail sérieux des filles alors qu’on reconnaîtrait les capacités intellectuelles des garçons. Autrement dit les enseignants participeraient à l’entretien de ces stéréotypes!
Ainsi au-delà du stéréotype entretenu par conformisme (je suis une fille adolescente, j’agis comme je pense que je dois agir telle que ce qu’on attend de moi), il semblerait que l’école participe à l’entretien de ces stéréotypes.
On peut imaginer également que les parents ont également un rôle, étant des acteurs éducatifs de premier plan.
Nous avons donc trois niveaux d’action du stéréotype :
- L’élève par le conformisme social.
- Les professeurs par leur accompagnement, leurs appréciations et encouragements écrits ou oraux.
- Les parents par leurs encouragements écrits ou oraux.
IV. Faire prendre conscience de l’existence de ces stéréotypes
A ce jour, il existe déjà quelques expérimentations, notamment au lycée qui se cantonnent à des stages. Ces derniers sont d’une dizaine de jours pour des lycéennes volontaires en classe de 1ère afin qu’elles prennent confiance en leurs capacités de recherche en mathématiques (Stage : « les cigales » , « les mouettes savantes » …). Ces stages reçoivent un écho favorable auprès des intéressées : meilleure estime de soi, confiance en sa capacité de réussite, disponibilité pour la réflexion, une liberté de « parole » également.
A partir de notre expérience professionnelle, nous partons de ces observations :
- Une plus faible participation des filles en classe
- Un désengagement des garçons face à la rigueur (notamment la production écrite)
- Une prévalence pour une sous-estimation des capacités chez les filles et la sur-estimation chez les garçons
- Une évolution comportementale entre la 6e et la 4e
Nous restons conscients que ces constats ne concernent pas l’intégralité des élèves mais une majorité prédominante.
En ce sens, nous aimerions interroger les limites constatées de la mixité dans les cours de mathématiques. Pour cela nous souhaitons tester la non-mixité dans ces derniers pour en observer l’impact à différents échelons :
- motivation scolaire et engagement face à l’effort.
- résultat scolaire en mathématiques
- relations aux autres et aux enseignants
- connaissance de soi
In fine de manière plus globale, sensibiliser à l’échelon de la communauté éducative aux stéréotypes de genre car il semble que les interactions entre enseignants et élèves restent profondément marquées par les représentations sociales du masculin et du féminin notamment par les appréciations dans les bulletins, évaluations ainsi que les encouragements en classe.
La non-mixité temporaire permettrait donc de travailler sur une meilleure lucidité des élèves concernant leurs niveaux et leurs capacités de réussite ainsi que des enseignants concernant leurs communications envers les élèves.
Aussi nous souhaitons proposer aux élèves de 5eme une expérimentation pour questionner leur posture et leur auto-estimation lors des cours de mathématiques non-mixtes sur une partie de l’année.
In fine, cela permettra à l’équipe de poursuivre les réflexions engagées sur les gestes et postures professionnels autour de cette thématique.
A plus long terme, nous pensons que cela engagera une réflexion auprès des parents face aux stéréotypes de genre au collège, à la maison et dans la société.
V. L’expérimentation
Les élèves concernés sont l’ensemble des élèves de 5eme du collège Bellevue.
Les besoins des élèves sont donc bien des besoins mathématiques, celui de questionner la perception biaisée & genrée de leur capacité mathématique.
Les enseignants suivront une progression annuelle commune et mettront en place les mêmes dispositifs (activité flash, auto-évaluation, travail en groupe…)
Des temps de concertation sont prévus ainsi qu’un suivi par le laboratoire de mathématiques du collège.
Deux enseignants seront donc responsables de ce niveau : Mme Charline PEUVREL (Professeure de mathématiques & chargée de mission d’inspection) et Mr Arnaud DURAND (Professeur de mathématiques & formateur). Chaque enseignant aura en charge deux groupes, un groupe de garçons et un groupe de filles, afin d’éviter de normaliser leur perception des élèves et la prise en charge du groupe d’élèves.
Planification de l’expérience.
Les trois premières semaines les élèves seront en mixité dans leur classe. Les classes de 5eme étant alignées en barrette de deux classes, les élèves feront connaissance aussi bien avec Mme PEUVREL que M DURAND : en effet, une alternance des enseignants est prévue afin de permettre aux élèves de découvrir les deux enseignants et ainsi favoriser le passage en groupes non-mixtes dans de bonnes conditions pour tous les élèves.
Cela permettra également de présenter l’expérimentation aux parents mi-septembre, de les rendre parti-prenante du dispositif, de clarifier nos objectifs et répondre à leurs questions.
Un questionnaire/sondage sera donné aux parents (sur la gestion des stéréotypes de genre dans la cellule familiale) et également aux élèves pour aborder la notion du regard des autres, de la perception de soi-même, de ses qualités mathématiques. C’est en quelque sorte un cliché des élèves à l’instant 0 pour quantifier les évolutions durant l’expérience.
À chaque période nous ferons le point avec les élèves, mais aussi entre enseignants, afin de questionner l’expérience et décider de la poursuite ou non. En effet, si des effets délétères étaient constatés, nous pourrions mettre fin à l’expérimentation et retrouver les classes habituelles.
Durant l’expérimentation, un suivi plus fin du comportement de certains des élèves, aussi bien en cours de mathématiques que dans les matières scientifiques (SVT, Technologie, Sciences Physiques) aura lieu. Il permettra de repérer si des comportements différents sont à l’œuvre en groupe mixte et non-mixte.
C’est bien un projet d’équipe du collège que nous vous présentons et non seulement l’œuvre de l’équipe de mathématiques. Cette réflexion sur les effets de la mixité au collège anime aussi l’équipe de sciences et l’ensemble des enseignants.
Nous espérons une réflexion de nos élèves et une prise de conscience de certains effets de la mixité qui les amènent à faire des choix volontaires :
- l’émergence de leader élèves filles en mathématiques durant la période en groupe non-mixte (comme tout groupe qui se crée, une micro-société émerge souvent avec l’émergence de leader),
- également chez les garçons, la mise en lumière de qualité de travail soigné chez certains puissent rejaillir chez les autres (sans avoir l’écueil dans les groupes non-mixtes de la pensée subversive « normal, c’est une fille »)
Avant la fin de l’année, il est prévu un retour en groupe mixte et l’étude de la viabilité du comportement, ce dernier est-il pérenne ? Comment le rendre pérenne ?
VI. Conclusion
C’est une expérimentation qui n’a, à notre connaissance, jamais eu lieu et qui provoque un vif intérêt de la part des personnes avec lesquelles nous avons partagé notre démarche (notamment des responsables de dispositifs de stage, d’enseignants ayant déjà fait des conférences sur les stéréotypes de genres…).
Au regard des premières réactions, c’est une expérimentation clivante qui surprend d’abord, qui fait réagir, puis qui fait réfléchir. Elle peut faire naître un rejet émotionnel fort puisqu’elle fait écho à un sujet sensible celui de la déconsidération féminine et pourtant c’est tout l’inverse que nous cherchons.
Une première intervention de Mohamed NASSIRI (enseignant de mathématiques et conférencier qui a travaillé sur les stéréotypes de genre au lycée) est prévue en octobre 2024 avec ces élèves de 5e.
Un second travail annexe sera mené sur les mathématiciennes de renom et notamment Sylvie BENZONI-GAVAGE qui nous fera le plaisir de venir le 16 janvier 2025 au collège pour parler avec nos élèves de 4e sur son parcours et ses difficultés. On souhaite ici présenter à nos élèves un modèle féminin qui puisse inculquer aux élèves-filles la possibilité de faire des mathématiques poussées (les maths cela peut être pour moi). Cette dernière s’est montrée dans un écrit favorable à ce genre d’expérimentation.