Petit débat sur l’évaluation différenciée et l’évaluation sans note

Au GRAF (Groupe de Recherche Action-Formation sur l’évaluation), nous avons un espace de wiki, qui permet aussi de donner des remarques sur les écrits. J’avais proposé en texte :

« l’évaluation différenciée, pourquoi pas? » qui est devenu un article de mon blog.

Nous avions eu à l’époque à la suite de cet article, une longue discussion avec Pierre. En relisant, les messages, je me suis dit qu’il serait intéressant de les retranscrire, car on remarque l’ensemble des arguments anti et pro-note.

Avant toute chose il serait souhaitable de lire l’article sur l’évaluation différenciée.

Pierre :

Je voulais publier ce texte en « brèves », mais il est trop long… Je me permets de le publier ici.
Je me permets de te répondre en retour en fin de wiki.
Quelques remarques sur le texte « Une évaluation différenciée, pourquoi (pas) ? »
1- Les deux analogies reprises de Perrenoud ne sont pas du tout convaincantes (décidément Perrenoud, dans son ensemble, ne me convainc pas) :
« Est-ce que la médecine fait subir les mêmes analyses à tous les malades sous prétexte d’égalité ? Cela
dépend des personnes, des problèmes. »L’évaluation ne sert pas au diagnostic préalable (sauf l’évaluation diagnostique mais dont il n’est pas question ici) comme les analyses que subissent les malades. Et encore : on utilise un stéthoscope et on mesure la tension chez tous les patients. Ensuite seulement on affine les examens et, surtout, on différencie les traitements.
« Un peu comme le permis de voiture, nous ne le passons que lorsque nous sommes prêts. La validation
du permis confirme notre apprentissage. »
C’est une grossière erreur d’analogie une nouvelle fois : car non seulement on s’adresse à des adultes, mais nul n’est obligé de passer le permis donc on a tout son temps pour le préparer, à tel point qu’on peut s’arrêter et ne jamais le passer.
2- Il est surtout question, dans le texte, du rapport au temps d’apprentissage. Je vois deux points négatifs :

  • a. On peut tourner les choses dans tous les sens, il y a une baisse d’exigence : on ne demande pas à l’élève d’être prêt, on attend qu’il le soit (un collègue ironique me faisait remarquer que pour certains on peut toujours attendre !).
  • b. Dans beaucoup de disciplines on ne peut attendre que l’élève soit prêt. Sauf à parler de compétences générales ou de savoir-faire réutilisés, la progression ne se fait pas en spirale et les chapitres ou les séquences s’enchaînent.

3- Par ailleurs il y a une confusion sous le terme évaluation, entre les évaluations sommatives et les activités qui sont évaluées lors d’évaluations formatives destinées à identifier là où ça coince pour mieux  y remédier.

Cette distinction posée, la nécessité d’enlever les notes au prétexte qu’elles obligent à évaluer de la même manière tous les élèves disparaît : on peut conserver des évaluations sommatives notées (en fin de chapitre ou de séquences, pour situer l’élève par rapport aux objectifs de connaissances) et différencier par les évaluations formatives. On peut aussi valoriser par des petites évaluations favorables aux bonnes notes.

En effet rien n’empêche – et beaucoup de collègues le font – de donner des évaluations, simples et rapides, qui sont facilement gratifiantes :

  • devoir en fin d’heure sur le cours qui vient d’être fait (valorise l’écoute en cours) ;
  • interrogation en début d’heure sur des définitions du cours (valorise le travail perso) ;
  • faire refaire un devoir avec le cahier de cours : montrer à un élève l’absence de fatalité d’une mauvaise note ;
  • TP notés en sciences permettant d’évaluer des capacités techniques et qui sont souvent très valorisants.

4- Un argument avancé est qu’un élève peut être démotivé par de mauvaises notes et s’enfermer dans l’échec.

a. Mais il y a une inversion du rapport cause/conséquence. Ce sont surtout, le plus souvent, ses faibles compétences ou ses lacunes notionnelles qui l’enferment dans l’échec. Et c’est l’accumulation des lacunes qui l’empêche de sortir de son échec, quand bien même il est valorisé (c’est là une limite à la valorisation).

Le « j’ai toujours de mauvaises notes », dès qu’il est creusé, est compris par l’élève : il n’y arrive pas à cause de ses lacunes. Je crois que l’élève sait qu’il ne sait pas. Et c’est parce qu’il sait très bien ce que sont ces lacunes qu’il se sent condamné et qu’il se voit enfermé dans la « spirale de l’échec ».
Il y a bien sûr des cas où un élève a bien travaillé, où il pense avoir compris et échoue pourtant lors d’une évaluation : c’est tout le rôle des évaluations formatrices d’identifier les lacunes notionnelles ou méthodologiques pour mieux y remédier.
b. J’ai aussi l’impression (dans cet article en filigrane mais aussi dans de nombreuses autres discussions) que la volonté de valoriser  est parfois telle qu’il semble que l’échec soit interdit parce que la mauvaise note est refusée au prétexte qu’elle détruit le moral des troupes. C’est mettre très haut l’importance de la confiance en soi (sans doute parce que l’un des grands enjeux est maintenant que
l’élève « soit bien » à l’école) : la raison d’un échec n’est pas la perte de confiance.

5- Dernière remarque, qui découle des précédentes : mais si la note est si fondamentale et semble
affecter tant, peut-on réellement valoriser un élève autrement que par la note ? Ce qui le gratifiera
réellement (i.e. : ce qui le mettra réellement en confiance) : n’est-ce pas une bonne note, bien plus
qu’une couleur verte ?

Ma réponse :

REMARQUES SUR LES REMARQUES … (Arnaud Durand)

Tout d’abord, quitte à me répéter, l’évaluation différenciée au même titre que l’évaluation sans note n’ont
aucune prétention à être parfaite. Elles s’axent sur un autre objectif : celui, pour moi, de la prévention du
décrochage. (lire, « l’évaluation, une menace? », même si je ne suis pas d’accord sur tout notamment la
description des rapports individu-individu en faisant fi du regard groupe-individu, je n’ai pas encore tout lu
mais le décrochage mu par l’évaluation sociale est extrêmement bien décrit)
Mais avant d’aller plus loin, j’aimerais préciser tes propos,voyons plutôt ce que je lis.
1- Je lis que la gratification peut passer par des évaluations favorables aux bonnes notes. De quoi s’agit-il?
Appuyer sur la balance pour la faire passer au vert, inventer des items de bon comportements qui n’ont peut-être pas rapport aux objectifs du programme ou du socle?
Que signifie réellement la moyenne de notes si celle-ci s’articule autour d’évaluations de tâches simplifiées? N’y a-t-il pas là ici aussi comme tu pourrais l’écrire une baisse d’exigence? J’y reviendrais plus tard, pour y relever ce que j’y vois de positif.
2- Le fameux argument qu’un élève peut être démotivé par de mauvaises notes et s’enfermer dans l’échec….
On parle bien de s’enfermer dans l’échec, nullement il a été question que les mauvaises notes sont la raison de l’échec (aucun lien de causalité comme tu prétends) mais plutôt la non-résolution de la situation d’échec.
L’élève est dans l’échec et peine à en sortir. On parle bien de spirale négative. Être en confiance permet d’aller de l’avant, c’est justement le levier pour sortir de l’échec. Un élève qui n’est pas en confiance n’a pas les moyens de réfléchir car ses pensées sont accaparées par les émotions liées à l’échec, donc son potentiel de réflexion est altéré, ce qui ne lui permet d’avoir de solides bases pour progresser : être en disposition pour agir.
Imaginons-nous faibles (situation d’échec donc) , mais travailleurs (j’en reviens toujours aux faibles-bosseurs, comme on en avait parlé lors de cette 2e journée, ce sont eux mon vrai « problème »), on travaille beaucoup, on y met de la volonté et pourtant, on a des notes peu glorieuses 6/20 , 3/20 etc …, est-il possible de ne pas jeter l’éponge? Oui peut-être … mais quelle force de caractère faut-il! Les élèves ont-ils tous cette aptitude face à l’échec? Clairement non.
Un exemple plus concret : on parle bien des filières prépa-maths dont le niveau exigé est dingue. Les élèves pourtant brillants se trouvent avec de notes extrêmement pauvres, ils deviennent dans la micro-société qu’est la classe des élèves nuls, certains décrochent et quittent ces filières.
Dans un contexte de compétition que ne renie pas ce genre de filière, c’est « normal » , ici, on est au collège, pour tous les élèves et surtout pour les aider, il faut donc ici prévenir le décrochage que l’instituer, non ?
On pense évaluation différenciée pour justement tourner le regard de l’élève vers ses performances et non ses contre-performances, il ne s’agit pas de le leurrer (il n’y a pas de note! Donc pas de faux espoir parde petits plus non-sensés! Un avis objectif sur les objectifs du programme : maîtrisé, non maîtrisé etc).
Justement j’en reviens à tes évaluations qui « donnent » de bonnes notes, elles sont tournées vers ce qu’ils savent faire… non ? Sauf que chez toi, la fameuse moyenne en est faussée, il y a un leurre.
S’empêcher d’évaluer une notion pour laquelle un élève n’est pas prêt. Ton collègue parlait que l’on pouvait attendre longtemps pour certains, de les évaluer cela a-t-il modifié quelque chose, sinon d’avoir une mauvaise note pour eux? Sincèrement y vois-tu une utilité ? Moi, aucune.
Si à la fin de l’année, l’élève n’a pas été évalué sur des notions car il n’était pas prêt et bien tout simplement il n’a pas les requis nécessaires. Je ne vois en quoi ne pas l’évaluer institutionnellement, nous empêche de se prononcer sur un élève. Cela t’empêche ?
3- Je lis « L’échec est interdit... » et « La mauvaise note est refusée« . C’est placer bien bas l’évaluation sans note…

Un « non-évalué » est peut-être aussi important qu’un « maîtrisé ». L’absence de performance est préférée à la contre-performance. Nos élèves, ici, sont en construction et en stade d’apprentissage, ils peuvent donc maîtriser plus tard les notions. Il s’agit donc de les orienter comme une évaluation diagnostic le permettrait.
Une note (parfois sanction) ne permet pas, à mon avis, de laisser la chance aux élèves maîtriser plus tard. Chez un adulte, peut-être que notre évaluation tournera autour de la performance et de la contre-performance, car ici l’adulte n’est pas considéré en stade d’apprentissage, donc la note pourrait avoir un sens, encore que…
4- Tu parles d’évaluation diagnostic et sommative… Pour une « évaluation sans note », la différence entre les deux devient extrêmement étroite, les élèves d’ailleurs ne la voient pas, pour eux, ils se contentent de savoir ce qu’ils faut retravailler pour obtenir plus tard l’objectif qu’il n’avait pas atteint en cette évaluation. N’est-ce pas le premier objectif de l’évaluation, centrer l’élève sur un axe de progression ? La vraie évaluation diagnostic !
Pourtant elle est aussi sommative car il y a bien un jugement des performances. Bien-entendu cela suggère des évaluations régulières que ma discipline permet au contraire de la tienne.J’en ai parlé à un enseignant de sciences physiques qui évalue avec Scolatix. Bien entendu pour lui la notion d’évaluation spiralée lui est étrangère comme toi je suppose. Néanmoins il y voyait des avantages :
Cibler les domaines de prédilections de ces élèves.(électricité, optique, chimie…) à mettre en lien avec des orientations  professionnelles.
Évaluer les comportements lors de TP, et ces compétences (socle) sont évaluables plusieurs fois. Enfin, comme je te l’avais suggéré, avoir 7/20 tout le temps pour un élève, il ne se verra pas progresser, alors qu’en évaluant par objectifs, ici il verra la progression du savoir grandir : il progresse, même si bien entendu, c’est insuffisant comme le suggère les notes, se savoir en progrès est plutôt positif, non ?.

Nous sommes en accord sur de très nombreux points :

  • La différenciation des évaluations ;
  • L’évaluation par compétences ;
  • L’identification des difficultés par l’évaluation des compétences ;
  • Une remédiation différenciée ;
  • La valorisation des élèves (en proposant cette définition de valorisation : veiller à ce que l’élève prennent bien conscience de ses qualités et de ses réussites).- Je suis d’accord pour constater que, sur les élèves faibles-bosseurs, les notes ne permettent pas de voir leurs progrès. C’est à mon sens le vrai argument en faveur de l’évaluation par compétence (ce qui n’a rien à voir avec l’absence de note !).

D’ailleurs je fais beaucoup d’évaluations formatives, en utilisant un code couleur, sur telle ou telle compétence ou capacité.
(Malgré un bémol cependant dont il faudra reparler : l’évaluation de certaines compétences se heurte à un effet de seuil, de sorte que la progression n’apparaît plus.)
En fait ce sont les excès qui me laissent perplexe :

  • Valoriser : oui mais à quel point ?
  • Les notes sont insuffisantes, mal adaptées, peu précises. Certes, mais de là à les supprimer ?

Je ne suis donc en désaccord que sur un point essentiel :

Il y a ce qu’on voit (le désavantage de la note pour les faibles-bosseurs) et il y a ce qu’on ne voit pas (les avantages de la note pour d’autres élèves, ou pour les parents, etc.). De sorte que je ne vois pas pourquoi, au prétexte qu’elles ne sont pas adaptées à quelques uns, il faut supprimer les notes de tout le monde. C’est postuler qu’il y a davantage à gagner à supprimer les notes qu’à les garder : rien n’est moins sûr.

Évaluer par objectif n’inclue pas forcément la suppression de la note globale mais surtout celle de la note instantanée (celle de l’évaluation x ou y ).
Est-ce que les parents s’en contentent?
Oui pour ceux qui suivent la scolarité de leurs enfants.
Ceux qui ne regardent pas les résultats notés de leurs enfants, ne regardent pas plus les résultats non notés (d’ailleurs ils s’en servent comme excuse, ces parents, on les connaît depuis la 6e et l’expérience n’est faite globalement qu’en 4e)
L’évaluation par objectifs n’est pas un remède, mais il a au moins l’avantage de cibler les lacunes de façon durable, facile pour un élève de cacher, d’oublier un résultat d’évaluation où l’on écrit les objectifs qui n’ont pas été atteints. Ici, le bilan des savoirs (savoir, savoir-faire et attitude) est accessible tout le temps, difficile de ne pas le voir.
On peut donc plus facilement impliquer l’élève dans son apprentissage. J’ai eu aussi des retour d’élèves de 3e (d’anciens 4e), ceux qui ont des  difficultés ( ceux qui n’en ont pas, n’ont pas à ré-approfondir des notions non acquises), apprécient (soyons honnêtes , pas tous, les autres s’en moquent comme ils se moquent des notes, ou autre) ce genre de bilan pour avoir des axes de travail, de révisions.
Je n’ai pas l’impression que la note instantanée (pour une évaluation) soit un réel avantage sur la « communication », ou sur la mise au travail des bons élèves (je pense au stade de maîtrise : acquis ou expert) etc… mais on en reparle mardi .

Et on en a parlé mardi et encore les séances suivantes…

J’allais oublier :

Bonnes fêtes de fin d’année!

noel

A propos de l'auteur : blank

Enseignant de mathématiques : collège Belle-vue de Loué Membre de l'équipe du "Rallye mathématique de la Sarthe" blog : mathix.org

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