Quand l’intello écrase ou tire la classe vers le haut…

Encore ma petite classe de 6e qui me tracasse, je m’interroge sur l’impact des élèves forts sur le reste de la classe. Parfois ils sont de parfaits moteurs et parfois des inhibiteurs. Qui n’a pas eu ce petit Gaëtan (nom d’emprunt)  sur qui on se repose pour faire avancer le cours, celui qui nous sauve quand on rame lourdement? N’avons pas entendu alors ce genre de réflexions :

«  De toute façon m’sieur, Gaëtan aura la bonne réponse, pas b’soin d’ se triturer »

« J’ suis sûr que j’vais y arriver com’ Gaëtan ! »

Toujours en travail sur l’évaluation, je lis des ouvrages « sérieux ». Je m’étais toujours refusé de lire des ouvrages portant sur l’éducation, je souhaitais me faire mes propres idées et les tester, d’ailleurs le projet scolatix en est né comme les problèmes d’estimations, le rallye scientifique avec leurs objectifs pédagogiques et didactiques précis.

J’avais peur que les lectures stéréotypent mes idées, je pensais qu’il fallait une certaine expérience professionnelle avant de lire des ouvrages pour prendre du recul.

Coup de sang, je saute le pas, direction une librairie, deux thèmes : histoire des sciences et évaluation (« L’évaluation, une menace, édition puf »).

Lire c’est bien aussi, cela permet de mettre des mots sur des sensations que l’on a en classe. Mettre des mots sur un maux, c’est le premier pas pour le guérir, non? C’est le diagnostic.

Ici, dans le livre, je n’étais pas d’accord avec l’analyse (pas d’association entre notion de  réussite et acceptation dans un groupe), mais l’histoire contée était parlante, d’ailleurs je vais l’utiliser.

Passons , allons sur les idées …

I. L’élève s’évalue par rapport au groupe.

a) Introduction

Qui n’a pas entendu quand il a rendu des copies « Ouah! T’as eu plus que moi » « Rah, J’t’ai battu » , les fameux élèves qui comparent leurs copies.

Ils n’ont qu’une envie, c’est de se situer dans la classe, savoir dans quel sous-groupe ils appartiennent :

Les faibles, les moyens, les forts.

La sensation est innée, tout individu que nous sommes, nous avons besoin de savoir quelle place ou plutôt quel rang nous occupons dans la société. Notre micro-société qu’est la classe est régit par les mêmes lois.

En tant qu’enseignant, on ne peut pas faire grand chose face à cette attitude (d’ailleurs on agit aussi inconsciemment comme eux, on les « classe »).

Ce type d’évaluation par rapport aux autres s’appelle l’évaluation sociale.

Il s’agit donc de l’utiliser comme outil.

Voyons les deux fonctionnements de ce moteur, quand il inhibe ou quand il stimule les élèves.

b)Les références pour classer sa performance

Tout se joue sur l’élève fort, et parfois aussi l’enseignant quand c’est lui le modèle.

Il s’agit d’observer le lien qu’ont les élèves faibles avec ce modèle.

Traitons des exemples de relations entre notre Téo (élève faible) et notre Gaëtan (élève fort) .

Je vous proposerai tout d’abord une situation ludique, on donne un ballon aux élèves. Sans consigne, notre Téo essaie de jongler le plus possible , 1…2…3 puis le ballon touche le sol. Il évalue sa performance à 3 jonglages (il cherche déjà à évaluer sa performance).

Il regarde Gaëtan 1..2..3..4..5..6..7..8..9..10..11 et le jonglage s’arrête. Téo se dit donc qu’il est mauvais, il a évalué sa performance par rapport à celle de Gaëtan. L’évaluation sociale est donc mise en œuvre sans intervention de la part de l’adulte.

Par cet exemple succinct, j’espère vous convaincre que l’évaluation sociale est omniprésente et n’est pas liée à l’adulte.

blankRevenons à un cas plus classique d’évaluation officielle, ici, trois « modèles » sont en jeu,

  •  l’élève fort, « Quelle est la meilleure note et qui l’a eu? »
  • la norme : « Quelle est la moyenne de la classe? »
  • l’élève le plus faible : « Quelle est la  note la plus nulle? ».

Ce sont, je pense, par ces référence que l’élève lambda quadrille la performance qu’ il obtient. D’ailleurs, pendant le GRAF j’avais entendu un collègue parler d’un élève qu’il avait besoin de se situer.

Je ne pense pas qu’il ait besoin réellement de se situer par rapport aux autres, mais par rapport à ces références, la différence est subtile mais elle existe.

Vous remarquerez que très rarement on demande qui a eu la plus mauvaise note, et que par contre on cherche toujours à savoir qui a eu la meilleure note. N’y voyez pas l’art de la compétition mais plutôt celle du modèle, du référent, de l’objectif autoproclamé par la société, « Il faudrait être comme lui« . C’est ce qui explique que l’on se moque de savoir qui a eu la note faible.

Voyons les diverses réactions que Téo va pouvoir avoir vis-à-vis de notre Gaëtan.

II. La comparaison avec l’individu de référence

a) Une relation entre « étrangers »

Téo peut se dire tout d’abord :  « Je suis nul j’y arriverai pas« , il associe Gaëtan a un performeur, Téo se dit qu’il ne pourra jamais l’égaler. En fait Téo, inconsciemment, créé des différences entre lui et Gaëtan. Il se dit qu’ils n’ont rien en commun.

C’est d’ailleurs aussi, ce qui peut amener les élèves à « critiquer l’intello » et à le dénigrer. Oui dans ce cas précis, l’élève fort pour le reste groupe n’a aucun point en commun, c’est le parfait étranger (il est exclu du groupe).

Quid de l’effet? Téo, lui aura deux réactions possibles.

-Une attitude de dénigrement face à Gaëtan qui consolidera le groupe des faibles  (tous contre l’ennemi)

blank-Une attitude de dénigrement face à lui-même. Il se sous-estimera encore plus. Son attention sera aussi accaparée par ses sentiments qui l’empêcheront d’avoir tous ses moyens pour effectuer une tâche. Pensez-vous qu’un élève faible a toutes ses facultés quand il est seul au tableau? Non car il se sait ou se pense observé et jugé car il se croit inférieur.

Dans les deux cas, les facultés de l’élève faible seront occupées à dénigrer le modèle ou à se dénigrer lui-même, cette charge de préoccupation l’empêche d’avoir tous ses moyens pour une future tâche, l’élève reste faible voir plus faible encore.

Le modèle ici est donc inhibiteur. Pourtant il suffit de peu pour générer un effet moteur.

b) Un effet moteur, oui si le modèle n’est pas un étranger pour l’élève faible.

On a vu que l’effet de groupe joue un rôle important, intégrer le modèle dans le groupe permettra donc à tirer le groupe vers le haut. Pour cela, il faut créer des points communs entre le modèle et l’élève faible.

blankSi vous dites à notre cher Téo que les blonds sont tous bons au foot et que Téo et Gaëtan sont blonds, il associera son échec à une performance anormale et donc travaillera sa performance pour être intégré au groupe des forts.

Je dirai même qu’il va croire que c’est possible d’être aussi performant que Gaëtan. Il sera donc sur la voie du travail.

Bien entendu, l’exemple ici n’est pas crédible.

Je vais donc en décrire un, les filles sont plus soignées que les garçons et sont plus sages. Ne pensez-vous pas que certains parents peuvent  dire parfois cela à un enfant et surtout à une fille?

blankDire que les garçons ont plus le sens de l’orientation que les filles, demandez à des professeurs d’EPS, ils vous affirmeront que les résultats lors de courses d’orientation vont en ce sens, et s’il s’agissait justement d’un effet moteur?

L’association d’un individu à un groupe de performeurs provoque une augmentation de sa performance.(pas d’effet d’inhibition, mise au travail accentuée)

Donc intégrer l’élève faible au groupe de l’élève fort le stimule.

De plus ses capacités ne sont pas inhibées car il est en confiance, il appartient au groupe des forts :

On a déjà jugé l’élève avant de l’évaluer.

 

c) Un effet stimulateur venant de l’enseignant.

Nous avons aussi notre carte à jouer. Cet effet, je l’ai toujours vu lorsque je souhaitais faire une démonstration d’un théorème un peu compliquée, je ne souhaitais pas forcément que tous la comprennent, je disais cette phrase :

« Si vous ne comprenez pas ce n’est pas grave, ce n’est pas exigé. »

Et la magie opère, tous les élèves écoutent. Je me suis posé souvent cette question, pourquoi cette soudaine attention que je n’ai pas quand je leur dis de bien écouter?

L’astuce réside dans la non-exigence de la performance. Ici, l’envie de comprendre apparaît car, l’autorité admet qu’il y aura des différences et donc des groupes d’individus (faibles, moyens, forts). L’élève souhaitant être dans le groupe des forts va faire l’effort de comprendre.

 III. Conclusion.

On l’aura vu l’effet moteur n’est pas facile à maîtriser, tout doit d’abord partir de la confiance qu’ont les élèves dans l’enseignant. Il faut qu’ils soient convaincu d’appartenir au groupe fort, et donc il faut qu’ils aient confiance dans notre capacité d’évaluation et de jugement.

Et cette confiance s’acquiert parfois difficilement, parfois facilement….

A propos de l'auteur : blank

Enseignant de mathématiques : collège Belle-vue de Loué Membre de l'équipe du "Rallye mathématique de la Sarthe" blog : mathix.org

a écrit 1113 articles sur mathix.org.

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